Un retour sur la plus récente expo consacrée à Nicoals de Stael en France
Nicolas De Stael Les Martigues 1954
Nicolas De Stael Le Lavandou 1952
Nicolas De Stael Marseille 1954
Nicolas De Stael Gentilly Version 4
Ecrit par : Paul on December 02, 2024 ||
Au début de l'année 2023 a pris fin la première rétrospective de l'œuvre de Nicolas de Staël à Paris depuis deux décennies, peut être comprise comme une tentative de corriger une grande partie des idées reçues sur l'œuvre de ce soi-disant peintre maudit.
Alors que son nom n'a qu'un poids modéré en dehors de sa patrie d'adoption, les faits de sa vie ont assuré sa survie en tant que nom familier en France, créant un mythe qui complique toute analyse de l'art sur lequel il repose.
Né de parents aristocrates à Saint-Pétersbourg en 1914, de Staël est mort de sa propre main à Antibes en 1955. Entre-temps, il a vécu plus que sa part de tragédie : son exil post-révolutionnaire, puis son éducation par des parents adoptifs en Belgique, la mort en couches de son amant de longue date, et un engouement obsessionnel et non partagé qui pourrait avoir été un facteur de son suicide. Il avait un caractère intense et une beauté brûlante : imaginez James Dean dans le rôle d'un charismatique bohème et sombre.
Les conservateurs se sont efforcés ici de placer leur sujet à distance de son culte posthume. Il s'agit plutôt d'un examen érudit, organisé chronologiquement, des méthodes de travail de l'artiste, qui accorde autant d'importance aux esquisses à l'huile qu'aux véritables chefs-d'œuvre. Il s'agit également d'une superproduction visuellement ravissante, pleine de rebondissements inattendus et de coups de poing colorés dans le ventre. (voir vidéo ci-dessous)
Les deux tiers des 200 œuvres présentées proviennent de collections privées, dont beaucoup ont été exposées pour la première fois depuis la mort de l'artiste, ce qui en fait sans doute l'exposition la plus complète de son œuvre à ce jour.
La brièveté de la carrière de Staël — elle n'a duré qu'une dizaine d'années — n'est pas un obstacle : il a été extraordinairement prolifique, ce qui permet de consacrer au moins une salle à chaque année d'activité constante, ainsi qu'une salle entière d'œuvres juvéniles rarissimes.
Ce qui saute aux yeux, c'est l'extraordinaire étendue de la pratique de Staël. Un instant, il s'attaque à des empâtements noirs d'une densité sculpturale à l'aide d'un couteau à palette, l'instant d'après il crée des hommages géométriques aux dessins de prison de Piranèse ; puis, soudain, il s'inspire de Robert Delaunay pour réaliser une esquisse à l'huile d'un match de football éclairé, une étude pour sa peinture la plus célèbre (et, dans sa forme achevée, radicalement différente), Parc des Princes (1952, ci-dessous).
Parc des Princes (1952), Nicolas de Staël. Collection privée. Photo Christie's ; © ADAGP, Paris, 2023
Il est possible de se pâmer devant ces peintures pour différentes raisons : on peut se dire qu'il s'agit là de l'apogée de la « seconde école de Paris », un terme parapluie douteux utilisé pour couvrir tout artiste basé en France ayant la moindre ressemblance stylistique avec les expressionnistes abstraits américains.
Cette théorie est ici réfutée en bloc : de Staël n'a jamais été un peintre instinctif et considérait que la distinction entre représentation et abstraction était absurde.
De Staël n'a pas non plus composé uniquement en fonction de son humeur : même dans ses œuvres les plus sombres, il ne peut pas résister à l'occasion d'une touche de rouge rubis. En vérité, la variété est telle qu'elle frise parfois la parodie.
Souvent, on l'imagine en train de se dire : « Je peux faire de l'illustration commerciale : je peux faire de l'illustration commerciale, je peux faire des natures mortes effrayantes à la Ensor, je peux faire des scènes nautiques bizarres à la Dufy, je peux faire mieux que Cézanne (un artiste qu'il décrivait mystérieusement comme « un pion ».)
Pourtant, de Staël sort presque toujours vainqueur, créant des peintures qui ne pourraient pas venir d'une autre main.
Prenez Composition en noir (1946), qu'il qualifie lui-même de « premier chef-d'œuvre » - il a détruit la plupart de ses premières peintures, bien qu'une vue du pont de Bercy datant de 1939 soit exposée ici - un réseau d'empâtements noir nuit d'où les couleurs sub-superficielles brillent comme des gemmes.
Ou encore ses nombreuses œuvres plus explicitement figuratives, où la terre rencontre l'eau - par le biais des paysages qu'il a vus dans le sud de la France vers la fin de sa vie, ou encore de ces ponts parisiens - dans lesquelles on peut lire des références à son statut de peintre liminaire, mêlant la représentation à l'abstraction.
Regardez ses croquis d'Agrigente, ou ses peintures d'autres ports français de la Méditerranée : tous débordent de couleurs, la peinture étant appliquée sur une épaisseur de boue au niveau du rivage, et légère comme une plume pour le ciel.
Marseille (1954), Nicolas de Staël. Avec l'aimable autorisation de Catherine et Nicolas Kairis/Applicat-Prazan, Paris ; © ADAGP, Paris, 2023
Sa virtuosité n'est nulle part plus évidente que dans la sublime section centrale, datant de 1953-54. Ce n'est pas un hasard si c'est à cette époque que de Staël quitte Paris pour s'installer dans le sud : sa palette change, il commence à privilégier l'orange, le jaune et le vert au détriment des bleus qu'il étalait sur des cartons lorsqu'il peignait en plein air au bord de la mer du Nord.
Les paysages marins évoquent les horizons brumeux de Marseille ou des stations balnéaires de son sud. Les paysages, quant à eux, préfigurent les visions d'Etel Adnan.
La meilleure section est gardée pour la fin. Ici, l'œuvre devient inséparable de la biographie. En 1953 ou 1954, de Staël fait une fixation sur Jeanne Polge, une femme mariée et aisée. Deux esquisses de nus grandeur nature donnent une idée de l'intensité de ses sentiments. Le peintre supplie Polge de quitter son mari, ce qu'elle refuse. Selon un ami, dans une note de journal de l'hiver 1954, « de Staël [voulait] se tuer pour une femme ».
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, De Staël s'était de plus en plus éloigné de la représentation, mais la dernière année de sa vie, il opère une volte-face : les oranges, les rouges et les jaunes de sa période faste cèdent la place au gris morne de la mer du Nord. L'abstraction, quant à elle, est reléguée au second plan. Le de Staël de 1955 est un peintre de sinistres accidents maritimes et de natures mortes moroses. Il n'est pas sûr qu'il ait connu Morandi, mais les deux peintres ont beaucoup de points communs. Il faut dire que le temps a mieux servi l'artiste italien.
Pourtant, certains des derniers tableaux de Staël comptent parmi ses meilleurs. Le Saladier (1954), qui met en scène un saladier presque conique sur un fond noir, est un joyau. Il en va de même pour une vaste vision de mouettes en vol, catégoriquement bizarre, réalisée quelques jours avant sa mort. Il semble macabre de spéculer sur ce que ce moins prévisible des artistes aurait pu faire s'il avait vécu. Bien que l'exposition nous encourageait à ne pas embrasser le mythe, il est difficile de ne pas en sortir en se sentant comme un adolescent adorateur du héros, se demandant ce qui aurait pu être.
Prenez le temps de regarder la vidéo de cette exposition ci-dessous, afin de bien saisir les propos illustrés ici.